Du beurre dans le COVID
Un matin d’avril 2020, muni de mon attestation de sortie dérogatoire dument remplie et soigneusement rangée dans la poche intérieure de ma veste avec ma carte d’identité, je fus hélé dans la rue par un agent des forces de l’ordre reconverti en agent des forces sanitaires.
Je venais de tousser dans ma main.
— On ne tousse pas dans sa main, mais dans son coude, me dit-il sur le ton ferme qui sied aux représentants de l’autorité.
— Tousser dans mon coude m’est impossible, Monsieur l’agent, lui ré- pondis-je quelque peu interloqué. Je souffre d’arthrose. Mon épaule se bloque, la douleur est insupportable.
— Si vous souffrez d’arthrose, c’est que vous êtes vieux. Si vous êtes vieux, vous êtes hautement contaminable. Par conséquent, vous êtes potentiellement contagieux. Vos papiers d’identité et votre attestation dérogatoire ! Penaud, je lui tendis mes papiers, dont il se saisit après avoir enfilé un masque et des gants.
— Sur votre attestation vous avez coché la case « achats de première nécessité ». Or je ne vous vois aucun caddie ni sac de course.
— J’ai seulement besoin d’une demi-livre de beurre.
— A votre âge, le beurre est mauvais pour la santé. Il bouche les artères et fatigue le foie. Vous n’en avez pas besoin. C’est pourquoi je me trouve dans l’obligation de vous verbaliser.
A ces mots, une sainte colère s’empara de moi.
— Monsieur l’agent ! (Je criais presque.) Je ne suis certes plus très jeune, mais je ne suis pas encore vieux. Quant à mes habitudes alimentaires, elles ne vous regardent pas !
— Détrompez-vous ! Les urgences sont pleines à craquer, les services de réanimation débordent. Prendre le risque de mobiliser un lit et du personnel hospitalier pour assouvir un plaisir gustatif est purement criminel. Ce n’est pas une, mais deux contraventions que je vous dresse.
La première pour non-respect des dispositions de l’article 3 du décret du 23 mars 2020, la seconde pour résistance à agent dans l’exercice de ses fonctions.
Je vais par ailleurs m’assurer auprès de mes collègues que vous ne vous êtes pas échappé d’une maison de retraite.
On ne sait jamais.